Le 22 Août 1914, Pierre de Clerck, mon grand-père est tué d’une balle dans
la tête en conduisant une offensive de sa compagnie à Virton (Belgique). Jean, mon père, devenait orphelin à 11 ans.
Son épouse Marie Oberthür le conduira reconnaître le corps de son père en 1919.
Son jeune frère, Le Lieutenant Paul de Clerck, est mort en Octobre
1914 à Forges, d’une balle en plein cœur, chargeant l’ennemi à la tête de sa
section du 351° de Ligne. Il laissait 6 orphelins.
Pierre de Clerck
né en
1872 à Arras, s’engage dans l’armée en 1892 au 8° Régiment d’Infanterie à Arras comme simple soldat. Il gravit les échelons de sous-officier. Après l'Ecole d'Infanterie de Saint Maixent, il est instructeur au bataillon de Joinville puis Lieutenant au 33° R.I. à Arras. Promu Capitaine
en 1911, il rejoint le 124° R.I. à Laval pour prendre le commandement de la 10°
compagnie.
Le 3
août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, envahit le Luxembourg et
lance un ultimatum à la Belgique, exigeant le passage de ses troupes sur son
sol. Pour la génération de 1914-1918, la
Grande Guerre signe un véritable changement d’époque. Nouvelle "guerre des
nations", mais aussi guerre "patriotique" où chaque peuple se
croit menacé d’agression, et où l’idée d’ennemi héréditaire revient dans tous
les esprits. Les Français ont les yeux fixés sur "la ligne bleue des
Vosges" et l’Alsace-Lorraine perdue en 1871. …
Le 5
Août 1914, Le 124° R.I. traverse Laval, musique en tête pour l’embarquement
vers la frontière. « La population l’acclame, couvre les soldats de fleurs
et quand le drapeau passe, un souffle de victoire semble déjà faire ondoyer ses
plis ».
Le régiment débarque à Verdun
et se porte immédiatement par étapes au pied des Hauts de Meuse. Le 21 Août, il
passe la frontière et pénètre en Belgique où les habitants lui font un accueil
enthousiaste mais affirme la présence des Allemands à proximité de Virton dans
les bois. Le choc est imminent…
Le 22
Août, au petit jour, l’artillerie allemande ouvre un terrible feu sur nos
lignes de tirailleurs, entièrement à découvert dans la plaine. Dans l’âpreté de
la lutte, les officiers donnent un superbe exemple de courage, ne cessant de
rester debout sous la mitraille. Les soldats répondent à leur attente par une
ardeur magnifique. Durant cette première bataille, les actes d’héroïsme sont
sans nombre… (Extrait de : Historique du 124°
Régiment d’Infanterie)
La
compagnie De Clerck est à cheval sur la route, deux sections déployées et deux
sections en renfort en colonne par deux. Il y a des troupes amies en avant.
Ordre est donné, en conséquence, de recevoir stoïquement les balles qui
arrivent par centaines, et de ne pas tirer. Si une troupe ennemie s’infiltre à
travers notre première ligne, on la recevra à la baïonnette…
A 9 heures, Les clairons du bataillon sonnent la charge. Tout le
monde saute sur pieds, baïonnette au canon, et, officiers en tête, dans un élan
splendide, les deux compagnies partent au pas de course, sans savoir exactement
où est l’ennemi ni quelle est sa force ; sans qu’aucune reconnaissance ait
été faite du terrain où elles vont s’engager. Or à la crête qu’il aurait fallu
pouvoir franchir d’un bond, on se trouve arrêté par une haie très épaisse, que
des fils de fer renforcent du côté de l’ennemi. Il faut se frayer un passage à
travers cet obstacle et cela prend du temps car on manque de cisailles. Alors,
de la ligne allemande qui est à l’affût dans une tranchée à moins de cent
mètres, la fusillade éclate et la crécelle des mitrailleuses. En moins de deux
minutes les nôtres sont décimés. Le Commandant Favier est mortellement
frappé ; le Capitaine de Clerck, merveilleux entraîneur d’hommes,
à la tête de sa "compagnie du chemin de fer" comme la surnommaient ses hommes pour décrire sa force et détermination, est tué d’une balle dans la tête ; le sous-lieutenant Guilbert, grièvement
blessé ; le lieutenant Bugnet est grièvement atteint et le sous-lieutenant
Marchand est tué raide au moment où toute sa section ayant franchi l’obstacle,
il l’entraînait à la charge. Réduite à quelques hommes, désemparés, sans chefs,
les 10° et 11° compagnies refluent derrière la crête, les soldats ramenant
leurs officiers blessés.
La bataille de Virton fit rage toute la
journée du 22 Août jusqu'au dernier coup de canon ordonné par le général Boëlle
« pour bien montrer aux allemands que le terrain est à nous »
Mais
les pertes étaient graves… Le 124° Régiment d’Infanterie avait perdu ses 3 chefs
de bataillons et 770 hommes de troupe. Il n’y avait presque plus d’officiers. (Extraits
de La Guerre en action – Virton, par le Cdt A. Grasset, Edition Berger
Levrault)
Du 14
au 24 août 1914. Les armées françaises, prises de court par l’offensive
allemande en Belgique, reculent sur tous les fronts, dans les Ardennes et en
Lorraine. Le général Joffre, commandant français des armées du Nord et de
l’Est, est défait dans cette "bataille des frontières". Il organise
toutefois une retraite générale en bon ordre, qui se soldera par le
"miracle de la Marne", première victoire des Alliés sur l’ennemi
allemand (6 au 12 septembre 1914).
La bataille de
Virton, dans les Ardennes belges est restée dans l’histoire comme l’une des
plus sanglantes du début des hostilités. Plus de 20 000 soldats français
et autant de soldats allemands succombèrent pendant les combats du 20 au
24 août 1914. Ces pertes énormes ne suscitèrent jamais l'émoi
légitime qu'elles auraient dû normalement provoquer en France et en
Allemagne. Il convenait en effet pour les Allemands, comme pour les Français de
garder le moral de leurs troupes en cachant
l'importance des pertes subies en quelques jours de combats dans une guerre à
peine commencée et que les tacticiens de chaque camp avait prévu devoir être
courte. Cette bataille des frontières fit
bien plus de victimes que la bataille de Waterloo mais elle n'eut pas l'honneur
de rentrer dans la légende qui préserve à jamais les victimes de
l'oubli. Puissions-nous se souvenir des vies sacrifiées de milliers de
jeunes soldats français et allemands qui reposent sur son sol.